(FRA) 5 Secrets de Tokyo que même les Japonais ignorent : Voyage sur une route oubliée

Le voyage à travers la ville fantôme de Kami-Itabashi ne réside pas dans sa grandeur, mais dans son humilité tranquille : de son modeste bureau de poste, à la tête inclinée du mendiant Rokuzō, en passant par la foi silencieuse des pierres au bord de la route.

Kōshin
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Kawagoe Kaidō

🎧Kami-Itabashi
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Quand on évoque Tokyo, l'esprit s'emplit d'images de gratte-ciel vertigineux, de carrefours bouillonnants et de néons électriques qui déchirent la nuit. Pourtant, sous l'asphalte de cette mégapole hyper-moderne, sommeillent des sentiers foulés par des marchands de patates douces et des samouraïs en quête de rédemption, des routes qui murmurent les histoires d'un temps révolu. L'une de ces artères oubliées est le Kawagoe Kaidō, un axe vital qui reliait autrefois la capitale shogunale d'Edo à la florissante ville de Kawagoe. C'est sur cette route que nous trouvons un nom qui ne dit plus rien à la carte du métro : Kami-Itabashi. Loin d'être une simple station de banlieue, ce lieu fut un village-relais, une halte pour les voyageurs d'antan, dont les secrets sont aujourd'hui enfouis sous le tissu urbain. Je vous invite à un voyage dans le temps, à une exploration pour déterrer cinq histoires surprenantes qui révèlent une facette cachée, profondément humaine et poétique de la capitale japonaise.

La grande illusion de la carte — Le vrai village-relais n'est pas là où vous le pensez

Pour comprendre l'histoire, il faut d'abord savoir où poser les pieds. Dans le cas de Kami-Itabashi, cette quête commence par une révélation contre-intuitive, une véritable illusion cartographique. Contrairement à toute logique moderne, la gare actuelle de Kami-Itabashi ne se trouve absolument pas à l'emplacement de l'historique village-relais, le Kamiitabashi-juku. Le véritable cœur de cette ancienne halte se situait plus à l'est, près de l'actuelle gare de Naka-Itabashi, dans le quartier paisible de Yayoi-chō.

Cette dislocation géographique n'est pas un simple détail ; elle est la clé de notre exploration. Elle illustre comment la modernisation, avec ses lignes de chemin de fer tracées au début du XXe siècle, a effacé et réécrit la géographie historique, transformant la recherche des vestiges en une sorte d'« exploration inversée ». C'est précisément cette discordance qui, à mes yeux, rend la quête si passionnante. Loin d'être un grand carrefour, Kamiitabashi-juku était un relais d'une modestie touchante. En effet, le voyage de treize li (environ 50 km) entre Edo et Kawagoe pouvait se faire en une seule journée. Le village servait donc de simple halte de repos, et non de destination nocturne, ce qui explique son caractère « remarquablement paisible », dépourvu des grandes auberges des routes principales.

Long de 740 mètres, le village-relais était divisé en trois sections : Kami-juku (le relais du haut), Naka-juku (le relais du milieu), et Shimo-juku (le relais du bas). Pour le pèlerin moderne, le point de départ de cette quête se trouve en un lieu précis, un joyau caché qui sert de boussole : le sanctuaire Hōkei Inari (法華稲荷) dans le quartier de Yayoi-chō. C'est ici que des passionnés d'histoire locale ont installé en 1976 une carte de reconstitution du village-relais. C'est devant cette carte, fruit de leur dévotion, que notre voyage commence vraiment, car les histoires les plus poignantes de cette route se trouvent souvent près des points d'eau qui la traversent, comme les ponts.

Kamiitabashi-juku
Kamiitabashi-juku

Le pont de l'humilité — La légende tragique et rédemptrice de Rokuzō

Les paysages ne sont jamais muets pour qui sait les écouter. Les légendes locales, transmises de génération en génération, imprègnent les lieux de significations profondes, transformant un simple pont en un mémorial philosophique. Tel est le cas du pont Gedobashi (下頭橋), dont le nom signifie littéralement « le pont de la tête baissée », et qui enjambe la rivière Shakujii sur le tracé de l'ancien Kawagoe Kaidō.

La légende populaire raconte l'histoire de Rokuzō, un mendiant qui vivait sous le pont. Accablé par la misère, il gardait constamment la tête baissée. Après sa mort, un moine itinérant de passage révéla aux villageois que, par sa posture, Rokuzō avait en réalité fait preuve d'une humilité absolue face au monde. Pour honorer sa mémoire, le pont fut baptisé Gedobashi. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. En 1933, le célèbre écrivain Yoshikawa Eiji s'empara de ce conte et lui donna une profondeur nouvelle. Dans sa version, le mendiant est un samouraï déchu d'Odawara, nommé Iwa-kō, qui accomplit un pèlerinage d'expiation. Dans son sac, un texte révélait sa quête : « 下頭億万遍一罪消業 » – « baisser la tête un million de fois pour effacer un seul péché ».

Cette double narration est d'une richesse infinie. Elle montre comment un même lieu peut incarner la compassion pour le mendiant Rokuzō et les thèmes universels de destin et de rédemption à travers le samouraï Iwa-kō. C'est une réflexion sur la dignité humaine, quelle que soit sa condition. Pour une expérience contemplative, les joyaux cachés sont doubles : le pont Gedobashi lui-même, à la jonction de l'ancien Kawagoe Kaidō et de la rivière Shakujii, ainsi que les sentiers paisibles qui longent la rivière, parfaits pour méditer sur cette histoire. Si ce pont commémore un homme, d'autres monuments, plus petits encore, veillaient sur tous les voyageurs qui empruntaient la route.

Gedobashi | rivière Shakujii
Gedobashi | rivière Shakujii

Les gardiens de pierre oubliés — Le réseau spirituel des voyageurs du commun

La véritable spiritualité d'une route ancienne ne réside pas toujours dans les grands temples, mais souvent dans les autels modestes et les stèles discrètes qui jalonnaient le chemin pour les gens ordinaires. Pour les voyageurs de l'époque d'Edo, dont les périples étaient semés d'embûches, un véritable « réseau de monuments miniatures » offrait protection et réconfort.

Ce réseau était principalement composé de stèles Kōshin (庚申塔) et de statues de Jizō (地蔵). Les stèles Kōshin marquaient les frontières des villages et rappelaient une pratique rituelle visant à prolonger la vie. Les statues de Jizō, le bienveillant bodhisattva, agissaient comme des divinités gardiennes des chemins. Ces modestes pierres étaient bien plus que des repères ; elles étaient des points de prière où l'on implorait un voyage en toute sécurité. C'est ici que l'on touche à une différence fondamentale : l'histoire du relais est officielle et administrative, tandis que celle de ces stèles est populaire et spirituelle. Partir à leur recherche aujourd'hui est une forme d'archéologie culturelle.

Le joyau caché n'est donc pas un lieu unique, mais une activité, une véritable chasse au trésor spirituelle : la quête des quatre stèles Kōshin et du Jizō de Senkawa encore présents dans le périmètre de l'ancien village. Ce dernier, dont le nom évoque probablement l'aqueduc historique de Senkawa Jōsui qui traversait jadis ces terres, se dresse comme un témoin silencieux. Si ces gardiens de pierre veillaient sur l'âme des voyageurs, une autre force, plus terrestre mais tout aussi essentielle, soutenait leurs corps : les saveurs de la route elle-même.

Kōshin
Kōshin

La douce tentation des treize li — Comment une patate douce raconte l'histoire de la route

Parfois, la mémoire d'un lieu se niche dans les endroits les plus inattendus : un nom, une distance, et même un proverbe culinaire. Le Kawagoe Kaidō mesure environ treize li (十三里, jūsan ri), une ancienne unité de distance japonaise correspondant à près de 50 kilomètres. Cette mesure a donné naissance à une fascinante anecdote, un jeu de mots qui a traversé les siècles.

Un célèbre proverbe de l'époque disait : « Meilleur que neuf li, il y a treize li ». En japonais, « neuf li » se prononce kyū-ri, une sonorité presque identique à kuri, le mot pour « châtaigne ». Le proverbe joue donc sur cette quasi-homophonie pour vanter les patates douces de Kawagoe, réputées plus délicieuses que les châtaignes, faisant de « treize li » leur surnom. Cette simple phrase révèle une tout autre facette de la route. Kami-Itabashi, situé sur ce chemin, n'était pas seulement un relais pour les hommes, mais aussi un maillon crucial de la chaîne d'approvisionnement agricole d'Edo, transformant la route en un véritable corridor de saveurs.

Aujourd'hui, l'histoire se déguste. Le joyau caché est une expérience culinaire qui fait écho à cette anecdote : explorer les rues commerçantes traditionnelles, comme celles du quartier de Tokiwadai, à la recherche de pâtisseries locales (wagashi) qui utilisent la patate douce. C'est une manière de transformer un ancien pèlerinage pédestre en un pèlerinage gourmand. Des plaisirs du palais, notre voyage nous mène maintenant aux protections divines qui délimitaient les frontières du village.

treize li
treize li

Les frontières sacrées — Entre chance terrestre et aspiration céleste

À l'époque d'Edo, les frontières d'une communauté n'étaient pas seulement administratives, elles étaient aussi spirituelles. Les temples et les sanctuaires fonctionnaient comme des bornes sacrées qui définissaient et protégeaient le territoire d'un village. À Kami-Itabashi, cette géographie spirituelle s'articulait autour de deux pôles complémentaires : l'un tourné vers les bénédictions terrestres, l'autre vers une quête de transcendance.

D'un côté, nous trouvons le temple Chōmei-ji, qui abrite Fukurokuju, le dieu de la longévité et de la fortune. En tant qu'étape du pèlerinage des Sept Divinités du Bonheur d'Itabashi, il incarne la recherche de bienfaits concrets et matériels (genze riyaku). De l'autre, on trouve les Fujizuka (富士塚), ces monticules de terre artificiels représentant le Mont Fuji. Ils permettaient aux fidèles qui ne pouvaient entreprendre le véritable pèlerinage de vénérer la montagne sacrée depuis leur village, symbolisant une aspiration spirituelle plus élevée.

Ces deux pôles de la foi ne s'opposent pas ; ils se complètent, protégeant le village à la fois dans sa vie matérielle et dans ses aspirations spirituelles. Le joyau caché est ici une double exploration : visiter le temple Chōmei-ji (長命寺) dans le quartier de Tokiwadai dans le cadre du pèlerinage des Sept Divinités et partir à la recherche des Fujizuka et des arbres sacrés du quartier. Ensemble, ces cinq histoires tissent le portrait d'un Tokyo méconnu, où chaque pierre a une histoire à raconter.

temple Chōmei-ji | Fujizuka
temple Chōmei-ji | Fujizuka

Retrouver l'art de baisser la tête

L'exploration de Kami-Itabashi est bien plus qu'une simple promenade historique. C'est une leçon sur l'importance de regarder au-delà des apparences, de gratter sous la surface des noms modernes pour trouver la valeur dans ce qui est humble, discret et silencieux. C'est une invitation à comprendre que l'histoire n'est pas seulement faite par les grands et les puissants, mais aussi par les vies ordinaires des voyageurs, des paysans et des croyants.

En fin de compte, ce voyage nous ramène à la métaphore du pont Gedobashi. Cette posture d'humilité est peut-être la plus grande sagesse que nous lègue cette route oubliée : une humilité face à l'immensité de l'histoire et un respect profond pour les vies minuscules qui l'ont façonnée. Ce chemin nous apprend à baisser la tête, non par soumission, mais par révérence.

Et vous, dans l'agitation de votre propre vie, quelles histoires silencieuses attendent que vous preniez le temps de baisser la tête pour les écouter ?

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